CHÈRES FAMILLES
Year:
2025
“Chères familles,
Nous avons peut-être les mêmes souvenirs, partagé les mêmes joies, les mêmes peines.
Nous avons sûrement en commun des personnes, des objets, des vêtements, des lieux, des événements marquants ou banals. Nous nous sommes vu naître, grandir ou vieillir. Nous nous sommes parfois ratés, pas vu grandir, pas vu vieillir, pas vu naître non plus. Au fil du temps, nous avons sûrement appris beaucoup, ou pas grand chose. Nous avons été bons ou mauvais, heureux ou malheureux, ensemble ou séparément. Nous avons communiqué, trop sans doute, pas du tout vraisemblablement. Nous nous sommes sûrement aimés, ou mal aimés, ignorés, haïs ou regrettés. Probablement, nous nous sentons “faire famille” ou de véritables étrangers.
Juge ou coupable d’un illégitime et théâtral tribunal familial.”
Nous avons 30 ans passés, désormais, et les souvenirs de nos enfances et adolescences sont lointains, qu’ils aient été heureux ou moins heureux. Le flou et les impressions laissés par ces souvenirs sont inévitablement accompagnés de leurs lots de doutes. Aussi, autour de nous reviennent, inlassablement, les mêmes questionnements : comment être ? Comment faire ? Comment parler avec nos parents, nos frères, nos sœurs ? Comment combler une distance qui au fil des années s’est parfois installée ? Comment comprendre celles et ceux avec qui nous avons peut-être partagé le plus, il y a maintenant bien longtemps ? Comment réparer, comment oublier ?
Rassurantes et repoussantes, nous avons décidé de leur écrire des lettres à ces familles “d’épouvantails”. Des lettres pour dire le “non dit”, le “non entendu”. Des lettres qui apaisent, qui blessent, des lettres qui réparent. Des lettres qui ne seront peut-être jamais lues. Peu importe, des lettres qui seront écrites.
FAMILLES D'ÉPOUVANTAILS
L’épouvantail, figure populaire en voie de disparition, tente de protéger les cultures des oiseaux et nuisibles. Simulacre du jardinier surveillant sa parcelle, souvent créé à son image, à l’aide de vêtements et accessoires mis au rebut. Il règne fièrement sur ses terres, impassible. Il est à la fois inquiétant et sympathique, figure cauchemardesque ou compagnon bienveillant des contes enfantins. S’il est fait à notre image, porte nos vêtements et esquisse notre silhouette, il n’en est pas moins fantomatique. Présence étrangement familière que l’on garde à bonne distance et réduit à sa fonction. Pourtant l’épouvantail a sa propre existence, d’abord repoussoir visuel et sonore, il devient souvent perchoir et compagnon d’infortune de corneilles voraces. Il traverse non sans mal les saisons : le froid fend son bois, le soleil décolore sa chemise, la pluie disloque son rembourrage. Éphémère, il disparaîtra bientôt.
PORTRAITS DE FAMILLES
La série “Chères familles” questionne notre rapport adulte à nos parents, frères, sœurs… Le projet, par son aspect documentaire, s'intéresse aux parcours banalement tumultueux, où la distance se creuse, où les mots se tarissent et où les trajectoires divergent, mais aussi aux histoires lumineuses, où les liens sont plus forts que tout, où l’amour est inconditionnel. Somme de lettres manuscrites à destination d’un parent : témoins de situations réelles que nos protagonistes nous partagent, et de portraits de familles photographiques réinterprétés “en épouvantails”. Nous expérimentons une plongée dans l’intime de ces rapports humains qui nous questionnent, au quotidien, et jouons avec les archétypes visuels. À l’aide de vêtements de seconde mains et d'accessoires chinés, vecteurs de mémoire, nous donnons vie à ces êtres fantasmés, épouvantails de nos parcelles intérieures, poupées vaudou d’un nouveau genre d’exorcisme.
LA RÉCOLTE DE TÉMOIGNAGES
A l’instar de nos précédents projets, Mémoire Habillée, Champ de Foire et Ostension, nous proposons à des amis, des proches ou des inconnus, de faire de nous le réceptacle, le catalyseur et les interprètes de leurs propres liens familiaux singuliers, contrariés ou tourmentés, actuels ou passés.
Nous leur posons une question, “Veux-tu écrire une lettre à ce parent, lettre qu’il ne lira jamais ?.”
La lettre manuscrite est anonyme, et s’accompagne d’une photographie du.des destinataire.s, (sa seule fonction sera de nous faciliter sa représentation pour reconstituer le portrait en épouvantail).
Dans un premier temps, nous devenons les uniques destinataires d’une lettre à un parent. Dans un second temps, celui de l'exposition, le regardeur deviendra l’ultime et anonyme dépositaire de cette lettre. Invité à l’introspection, au questionnement sur ses propres relations familiales, il pourra à son tour, se figurer ses propres épouvantails et esquisser l’ébauche d’une lettre à leur destination.
